Documenter le travail, archiver les savoir-faire
Cette première séance est l’occasion de revenir sur les origines de l’intérêt des chercheurs, notamment français, pour les savoir-faire et les métiers de la mode.
Dans le contexte du Musée des arts et tradition populaires, mais aussi dans celui de la recherche universitaire, les années 1980 sont le témoin d’un tournant singulier : à la suite des travaux fondateurs de Marcel Mauss ou d’André Leroi-Gouran, une nouvelle génération de chercheurs questionne la matérialité des objets associés à la mode. C’est le cas notamment des travaux de Daniel Roche qui, avec Culture des apparences (1989) invite à considérer l’artisanat à partir de ses réseaux. Dans le même temps, après un intérêt marqué pour la ruralité le musée des ATP interroge les cultures urbaines, et ainsi les savoir-faire artisanaux que les villes abritent et que les mutations techniques et commerciales menacent. Le cas de l’exposition Artisans de l’élégance, à laquelle Anne Montjaret a contribué et qui ouvre en 1993, est emblématique de ces dynamiques et constitue un précédent fondateur pour le champ de recherche.
Comment étudie-t-on aujourd’hui les savoir-faire de la mode ? En s’appuyant sur la recherche qu’elle a mené sur les brodeurs parisiens du XVIe siècle, Astrid Castres met en évidence la variété des sources qui permettent de recomposer les gestes et les techniques mis en œuvre par les artisans de la capitale dans leurs ateliers. En considérant les images, les pièces textiles elles-mêmes, mais aussi l’ensemble des documents écrits (règlements de métier, actes notariés et judiciaires), elle s’attache à retracer le quotidien, l’organisation du travail au sein de l’espace de l’atelier. Avec une attention particulière portée aux mots et termes techniques qu’empruntent les artisans brodeurs et dont les archives ont parfois gardé la trace, c’est une enquête lexicographique qui se précise. En l’absence de dictionnaires et de traités équivalents à ceux publiés au XVIIIe siècle, le travail de la chercheuse consiste à retrouver le sens de ce langage d’atelier, avec une attention particulière portée à l’observation et à la pratique de la broderie aujourd’hui.
De langage d’atelier il est tout particulièrement question dans la table ronde qui rassemble Aska Yamashita (directrice artistique de la maison Montex), Garance Salaün (responsable des archives) et Laurène Nicol (responsable des archives Lesage). Quelles formes prend l’archive dans le contexte des ateliers où les brodeurs se confrontent quotidiennement aux références historiques qu’ils revisitent et réinventent ? Que conserver pour documenter et archiver non pas la seule broderie achevée mais bien l’ensemble des étapes qui président à sa réalisation ?
Les métiers de la mode dans la recherche française depuis 1980 : approches ethnographiques
Anne Monjaret est directrice de recherche - CNRS depuis 1997 (membre d’abord au CEF-MNATP (CNRS-DMF), puis en avril 2001 au CERLIS (CNRS Université Paris Descartes et enfin en septembre 2012 au LAHIC-IIAC (CNRS- EHESS- Ministère de la culture et de la communication)
Elle est Présidente de la Société d’ethnologie française (SEF) depuis avril 2012. Elle assure des enseignements à l’université Paris Descartes. Entre 2003 et 2006, elle a été rédactrice en chef de la revue Ethnologie française.
Après avoir étudié la fête de Sainte-Catherine au sein des entreprises dans le cadre d’une thèse de doctorat en ethnologie à Nanterre sous la direction de Martine Segalen (1992), elle développe une anthropologie des espaces professionnels, bien que s’étant également penchée, de façon plus ponctuelle, sur les espaces domestiques. Considérant les bureaux et les ateliers comme des espaces habités, elle s’intéresse aux articulations entre les sphères privées et professionnelles, entre le travail et le hors-travail. Elle étudie ainsi les fêtes, l’alimentation, les vêtements, les modes d’appropriation de l’espace de travail, le végétal, le téléphone... au travers desquels elle cherche à saisir comment se formalisent, se régulent les liens sociaux. Conjointement, elle mène des recherches sur les figures féminines, entre autres choses sur les filles et leur éducation couturière à travers les contes populaires, sur les élections de Miss et sur les affiches de nus dans les ateliers masculins.
La fabrique de l’habit : un atelier de broderie à Paris au XVIe siècle
Astrid Castres est docteur de l'École pratique des hautes études où elle a rédigé, sous la direction de Guy-Michel Leproux, une thèse d'histoire de l'art intitulée Brodeurs et chasubliers à Paris au xvie siècle, soutenue en 2016 (Prix Nicole 2017, mention spéciale du jury du Prix de thèse PSL 2018).
Au cours de ses années de doctorat, elle a successivement été chargée de mission à l'École nationale supérieure des Beaux-Arts, assistante du conservateur responsable de la collection des dessins, entre 2012 et 2015, puis ATER à l'École pratique des hautes études entre 2015 et 2017.
Depuis octobre 2017, elle est rattachée au centre Jean-Mabillon, où elle mène un projet de recherche postdoctorale du LabEx HaStec, sous la direction de Marie-Françoise Limon-Bonnet, intitulé La production de vêtements à Paris : savoir-faire traditionnels, innovations et transferts techniques dans les métiers de l'habillement au xvie siècle.
Ses travaux portent principalement sur l'histoire du textile et de ses techniques à Paris au xvie siècle. Elle s'intéresse tout particulièrement à l'étude des cadres de production, à l'organisation du travail au sein des ateliers et aux conséquences de l'apparition de nouveaux procédés sur les pratiques professionnelles au début de l'époque moderne.
Questions d’archives
